jeudi 9 avril 2015

Quand le surnaturel se brevète

Cela fait un moment que je n'avais pas écrit d'article. J'étais un peu pris par la survie de mon entreprise. Pas encore sorti d'affaire, mais on en reparlera une autre fois. Je me sens obligé d'écrire maintenant, car je suis tombé sur une situation vraiment inattendue.

Une technologie mystérieuse

J'ai rencontré il y a deux ans environ sur un salon professionnel une société qui vend un appareil permettant de désembouer l'eau des canalisations de chauffage. Rien d'extraordinaire jusque là. Leur technologie m'intriguait, car je ne comprenais pas bien comment ça fonctionnait.
J'ai eu récemment l'opportunité d'aller voir cette société. L'échange se passe bien, j'ai droit à une foule de preuves de fonctionnement chez leurs clients. Super.
Je ne doute pas un instant que ça fonctionne. La boîte existe depuis un moment, ils remboursent l'appareil si ça ne fonctionne pas, donc si leur techno était bidon, ils auraient mis la clé sous la porte depuis longtemps.
J'interroge donc le commercial, un jeune dynamique, sur le fonctionnement de leur appareil et il me parle de mémoire de l'eau. Là, je tique.
Pour ceux qui ne connaissent pas l'affaire, la mémoire de l'eau est un scandale scientifique d'il y a plus de 20 ans. Pour en savoir plus, suivez ce lien. Bref, pas vraiment convaincant.
Bon, le commercial reconnaît qu'il n'est pas spécialiste, et peut-être qu'il a mal compris. Il fait appeler un technicien. Pendant l'attente de ce dernier, le jeune m'explique que leur appareil est de fabrication autrichienne. Peut-être s'agit-il d'une traduction malheureuse de l'allemand, me dis-je ?
Le technicien arrive, et il me dit d'entrée qu'il est très mal à l'aise avec ce système. De formation scientifique, il avoue ne pas bien comprendre comment leur appareil marche. Il se contente de l'installer chez les clients, de réaliser des tests pour eux, ou d'intervenir en cas de dysfonctionnement (généralement, une erreur de montage). En tout cas, il est serein : ça fonctionne. Mais comment ? Mystère.
Je consulte les plaquettes commerciales de la société, et elles font référence à de très étranges explications, extrêmement farfelues et pour tout dire invraisemblables. L'eau propre serait en fait constituée de "clusters" de molécules d'eau dont la structure est régulière, aussi régulière que des cristaux de glace (tiens, tiens) et l'eau polluée serait formée de clusters irréguliers. Ils annoncent même qu'on peut voir ces fameux cristaux de glace au microscope. Personnellement, l'eau au microscope, je ne l'ai jamais vue que transparente. Fumisterie.
Un autre commercial, passant par là, me dit que je suis comme tous les prospects qu'il rencontre et qui ont un profil de scientifique. Assez rare (1 par an en moyenne), mais très sceptique dès lors qu'une explication est avancée. En pratique, il n'a jamais réussi à vendre ses appareil à de tels profils. Tu m'étonnes. Mais les autres, en général, ça va. L'explication qu'il préfère, c'est une histoire de "vortex" (il y a une spirale gravée dans l'appareil, censée produire un tourbillon).
Étant pêcheur, il affirme que l'eau est plus claire dans les rivières là où le courant est le plus fort. C'est sans doute vrai, car la sédimentation nécessite une eau calme. Mais le rapport avec le désembouage est assez flou. En tout cas, ça suffit à convaincre la plupart de ses clients. Et l'essai de l'appareil étant généralement un succès, les clients ne se posent pas plus de questions.

Une explication surnaturelle ?

Ils me montrent des rapports (en allemand) parlant de soit-disant "fréquences" que l'appareil appliquerait à l'eau (vous ai-je dit que l'appareil est passif, et qu'il n'utilise aucune alimentation en énergie ?). Toujours plus étonnant. Ils me montrent des schémas de l'appareil, avec de curieux tubes en verre étanches contenant une solution saline. La source de ces "fréquences", d'après ce qu'on leur a raconté. Il y a aussi des billes en quartz, mais peut-être bien que ce sont d'autres pierres semi-précieuses.
OK. Là, on arrive à la magie des pierres précieuses. Abracadabra, tu te dépollueras ! Même eux ont du mal à avaler ces âneries.

Nous finissons par conclure qu'ils aimeraient bien avoir quelque chose de crédible à exposer à leurs clients. Je leur demande s'il y a un brevet, ils me disent que oui, mais ils n'ont pas la référence. Mais avec le nom de la boîte autrichienne qui les fournit, je devrais trouver. Avec l'excellent outil gratuit Patent Inspiration, ça devrait être du gâteau.
Chou blanc. L'entreprise autrichienne ne semble jamais avoir déposé un brevet. Je creuse avec des mots clés, et je finis par tomber, non pas sur le brevet escompté, mais sur toute une sous-classe de brevets totalement incroyable.
Les brevets sont classés par les organismes internationaux compétents en une hiérarchie de classes et de sous-classe extrêmement riche et détaillée. Ainsi, la classe principale "C" (Chimie et Métallurgie) contient une sous-classe "C02F" (Traitement de l'eau, eau usée, boue...) qui contient elle-même plusieurs sous-sous-classes.
Et l'une a attiré mon attention, car elle contient plusieurs brevets faisant référence à des pierres semi-précieuses.
La classe "C02F1/005" s'appelle "Systèmes ou procédés basés sur des principes surnaturels ou anthroposophiques, des rayonnements cosmiques ou terrestres, la géomancie ou la rhabdomancie". Ce dernier terme désigne le savoir-faire des sourciers.
Il existe donc une catégorie de brevets basés sur des principes surnaturels. J'hallucine.
En clair, cette société utilise un appareil qui fonctionne (je leur accorde le bénéfice du doute), mais dont ils ignorent totalement le mode de fonctionnement, et dont la conception est grosso modo basée sur de la sorcellerie. Pas étonnant qu'ils ne soient pas à l'aise.
Je lance donc un appel : si vous avez une idée de comment leur appareil peut fonctionner, avec une explication rationnelle, contactez-moi !

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