jeudi 13 février 2014

Les services climatiques

J'ai assisté hier à une restitution d'un groupe de travail académique sur les "services climatiques". Vous n'avez certainement, comme moi il y a peu, aucune idée de quoi il s'agit.
Assez sceptique initialement, j'ai été convaincu par le potentiel de ce sujet. C'est pourquoi j'interromps ma série d'articles sur le crowdfunding pour vous en dire un mot.

De l'atténuation à l'adaptation climatique

Tout part d'un projet appelé SECIF, pour SErvices Climatiques pour l'Industrie Française. À mon sens, la présentation institutionnelle du projet n'est pas très sexy, et ne parlera pas au grand public. Moi-même, ayant été interrogé par deux membres d'un groupe de travail alsacien sur le sujet, je n'avais pas une idée très claire de l'intérêt de tels services jusqu'à hier.
Ça mérite donc d'être relayé avec un langage moins formel, moins théorique. Ce que je vais essayer de faire.
Le contexte du changement climatique, tout le monde le connaît. On parle régulièrement du GIEC au journal de 20h. On sait tous que l'activité humaine induit un réchauffement global de la planète. Et même si certains activistes climatosceptiques essayent de nous convaincre du contraire en jouant sur la complexité du sujet et en dénichant quelques pseudo-arguments à l'apparence scientifique, les conséquences du changement climatique sont déjà bien visibles.
Des mesures pour réduire l'impact de l'activité humaine sur le changement climatiques sont déjà engagées. La réglementation écologique incite les entreprises à être plus sobres en carbone, la pression sociale et l'image des sociétés sont des moteurs de motivation importants, et il est clair pour la majorité des gens qu'il faut faire des efforts pour atténuer le changement climatique. Rien de neuf a priori, donc.
Notez que le vocabulaire actuel est celui du changement climatique, pas du réchauffement climatique, en raison sans doute de l'utilisation abusive de ce terme par les climatosceptiques pour nier le phénomène, lors d'hivers rigoureux par exemple.
Mais là où il y a quelque chose de véritablement nouveau, c'est que les spécialistes du changement climatique parlent désormais d'adaptation au changement climatique, et plus simplement d'atténuation. En fait, ils en parlent depuis plusieurs années déjà, mais le grand public n'en a pas encore eu l'écho.
Et ça change tout.
En effet, s'ils se mettent à parler d'adaptation, c'est qu'il est presque certain qu'on ne pourra pas empêcher le changement climatique de se produire. Certes, il faut atténuer ces effets, mais on ne pourra pas maintenir la situation actuelle. Donc il faut commencer à s'y préparer.
Prenons un exemple simple. Vous êtes exploitant d'une petite station de ski dans les Vosges, et vous vous demandez s'il faut investir. Les projections climatiques suggèrent que dans les 20 prochaines années, les années à faible taux d'enneigement vont se faire plus fréquentes. Il est clair que le ski n'est pas une activité très attractive dans le massif vosgien. Il vaut peut-être mieux réfléchir à d'autres activités que d'acheter un nouveau tire-fesses.
A contrario, certaines activités peuvent profiter du changement climatique. La saison estivale en Alsace devrait a priori s'étendre, ce qui devrait booster le tourisme.
Certaines activités sont évidemment touchées par le climat. On a cité les activités touristiques et de loisirs en plein air, mais il est facile de penser à l'agriculture ou à l'exploitation forestière. Pour ces activités, les conséquences du changement sont variées, parfois positives, parfois négatives.
Ainsi, le maïs devient moins productif si le taux de CO2 dans l'atmosphère augmente (on est à un optimum). Au contraire, la vigne pourrait en profiter. Du moins, certains cépages.
Certaines essences de bois courantes dans nos forêts vont devenir plus vulnérables, et il peut être judicieux de les remplacer par d'autres essences mieux adaptées, afin de maintenir la production de bois à un niveau satisfaisant.
On le voit, il y a des enjeux évidents pour ces métiers.
Mais pour d'autres métiers, comme l'industrie en général, l'impact paraît à première vue inexistant. Ou juste lié au coût de l'énergie. En tout cas, c'est ce que j'avais tendance à croire.
Mais c'est ignorer que les entreprises de tout type sont vulnérables au climat. Et ceci depuis longtemps. Ainsi, beaucoup d'entreprises ont connu à un moment ou à un autre un problème météorologique. Ce peut être une tempête (1999 est encore dans toutes les mémoires, et la Bretagne en sait quelque chose cette année), une canicule (2003), une inondation... Les spécialistes parlent de vulnérabilité climatique.
Tout dans l'entreprise peut d'ailleurs être impacté :
  • les bâtiments qui peuvent être détruits (tempête), bien sûr,
  • les outils de production qui peuvent être endommagés (inondation), ou les véhicules (grêle),
  • mais aussi les personnels qui peuvent être blessés, malades (grand froid), ou tout simplement improductifs (canicule),
  • la matière première qui n'arrive plus (vulnérabilité du fournisseur),
  • les données disparues des serveurs informatiques détruits (foudre),
  • le carnet de commande (vulnérabilité du client),
  • ou encore, la réputation (commande non livrée ou avec retard).
On le voit, le changement climatique, ce n'est pas uniquement 2°C de plus dans 50 ans par rapport aux températures d'aujourd'hui. C'est aussi une augmentation de fréquence et/ou d'intensité de certaines catastrophes naturelles (les coulées de boue, par exemple), et une diminution de certaines autres (les périodes de gel intense).
Un autre exemple, moins brutal qu'une catastrophe, mais qui m'a frappé : les projections climatiques suggèrent que le niveau moyen du Rhin va augmenter dans les prochaines décennies. Rien de grave, me direz-vous. Oui, mais lorsque le Rhin est haut, certains bateaux ne peuvent plus passer sous les ponts. Aujourd'hui, cela relève de quelques jours dans l'année, mais à terme, cela deviendra plus courant, avec des conséquences sur le transport fluvial et sur l'économie qui en dépend. S'adapter, c'est faire des choix :
  • va-t-on accepter de subir cette situation ? 
  • ou va-t-on faire des bateaux plus bas ? 
  • ou va-t-on faire appel à plus de camions ? 
  • ou encore, va-t-on surélever les ponts ?
Vous aurez observé que chaque option correspond à des acteurs différents (entreprises productrices, entreprises de transport fluviales, entreprises de transport routier, pouvoirs publics...). C'est une responsabilité diluée, ce qui complique forcément l'adaptation.

Un projet académique qui pourrait déboucher sur de nouveaux métiers

Bref, il faut s'adapter. Mais que faire ? Le maire de Triffouilly-les-Oies n'est certainement pas armé pour réfléchir à ce problème tout seul. Le dirigeant de MaPetiteEntreprise non plus.
De l'autre côté, les climatologues ont des outils incroyables, des moyens de projection très performants (même s'ils ne sont pas encore suffisants pour raisonner à l'échelle temporelle de l'entreprise). Mais leurs données ne sont compréhensibles que par des spécialistes, et leur exploitation par le commun des mortels est certainement impossible.
En particulier, chaque métier a des attentes différentes par rapport à un événement climatique. Ainsi, un épisode de froid peut être problématique par sa durée pour une industrie (s'il faut prévoir des réserves de fioul plus importantes), mais c'est peut-être son intensité qui pénalisera une autre (parce que tel matériau se brise à trop basse température).
On le sent, il y a un fossé entre les climatologues et les industriels ou les collectivités locales. On est en plein dans un besoin de médiation technique. Il faut traduire les données des uns dans le langage des autres. Mais cela va même au-delà. On va jusqu'à une notion de conseil.
Les services climatiques, ce sont finalement ces modalités de conseil que l'on peut apporter. Le pluriel s'impose, car ces services peuvent prendre de nombreuses formes, dont certaines ne sont peut-être pas encore inventées. En voici quelques unes que j'imagine.
  • On peut commencer par la prise de conscience. C'est un audit climatique. Il s'agit d'identifier les risques d'événements climatiques délétères, et d'évaluer la vulnérabilité de l'entreprise à ces événements climatiques. Bien sûr, il faut s'intéresser au site industriel lui-même, mais aussi à tous les partenaires de l'entreprise : les autres filiales (dans le cas d'un groupe), les fournisseurs et les clients (en particulier s'ils ne sont pas dans la même région)...
  • On peut aussi apporter des suggestions de solutions préventives. C'est un rôle de conseil opérationnel.
  • À une échelle de temps éventuellement supérieure, celle de l'investissement industriel ou de l'investissement dans de l'infrastructure publique, les projections climatiques peuvent permettre de guider les choix des investisseurs. Faut-il construire une usine en Espagne ou en Irlande ? En PACA ou dans le Limousin ? L'une de ces zones est-elle climatiquement favorisée par rapport à l'autre ? Pour les collectivités, le climat va-t-il favoriser l'implantation de telle industrie plutôt que telle autre ? Si l'on veut que les emplois soient au rendez-vous, il est peut-être intelligent de subventionner plutôt les entreprises des secteurs climatiquement favorisés par la région.
Il est clair que ces métiers n'existent pas encore. Mais ce sont à mon avis des métiers que l'on va voir émerger dans les prochaines années. Certains services utiliseront directement les données des climatologues, et auront particulièrement besoin de compétences en calcul numérique, en physique, en modélisation, ainsi que d'outils informatiques puissants. D'autres relèveront plus de l'audit de sécurité, de la transmission de connaissances, voire de la créativité.
Le champ des possibles est énorme. Seule la prise de conscience collective n'est pas encore au rendez-vous. Mais ce n'est peut-être qu'une question de mois.

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